De retour « dans mes terres », tant d’images et d’impressions se bousculent en vrac :
Je rêvais – j’avais besoin – de m’extraire à ma réalité des deux dernières années pour aller respirer l’air d’ailleurs.
Je rêvais de connaître le quotidien à Québec, avec ses petites rues tortueuses et pentues, ses paysages saisissants partout où l’œil et/ou les pieds décident de se poser.
J’espérais un petit coin tranquille où me réfugier pour écrire et réfléchir tranquillement, et n’avoir qu’une unique préoccupation, une seule réalité, celle de traduire une pièce de théâtre.
J’ai eu droit à un vaste appartement lumineux, adjacent à une majestueusement blanche bibliothèque/église qui, à une autre époque, avait déjà servi de salle de théâtre.
J’ai eu droit au sourire tout aussi lumineux et chaleureux d’Élise Glück à mon arrivée, sourire qui ne s’est jamais démenti tout au long de mes deux semaines de résidence.
J’ai également eu droit à l’aide bienveillante de Sylvie à la Bibliothèque dont je pouvais quand même deviner le sourire derrière le masque.
J’ai eu droit à un quartier qui, fort heureusement, avait retrouvé son souffle et grouillait de vie, de cafés et de restos (et Ashton évidemment); un quartier riche en possibilités.
J’ai eu droit à de magnifiques journées de soleil et de blancheur éclatante, couronnées de marches mémorables avec mon ami Patrick, de Québec, qui m’a fait sillonner différents parcours : les Fortifications, la Terrasse Dufferin, les Plaines, le Fleuve, la Basse-Ville, l’ancienne Caserne de Robert Lepage – aussi noire qu’un onyx, avant son nouveau Diamant – la rue St-Joseph, la rue Cartier, un café chez Cantook…
J’ai eu droit à une rencontre aussi fortuite que comique dans l’escalier avec Paul Bordeleau, voisin bédéiste de la Shop à bulles, dont j’ai pu découvrir et lire deux œuvres à la Bibliothèque : Le 7e vert, et Pour réussir un poulet, adaptée de la pièce de théâtre de Fabien Cloutier. « Tout est dans toute », comme on dit…
Mais surtout, tel qu’espéré, j’ai eu droit de me lever tous les matins, sous l’œil ludique des chats noir et blanc qui « courent sur le mur », et me faire un café avant de plonger dans cette pièce-fable quelque peu visionnaire qui traite d’exil physique, émotif et psychologique sur fond d’épidémie planétaire.
J’ai eu droit à 3 jours fructueux avec mon auteur au cours desquels j’ai pu lui poser toutes les questions glanées durant le processus de traduction, et auxquelles il a su répondre de manière précise et détaillée.
Je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’en une dizaine de jours, j’aie en main une première version suffisamment « viable » pour être envoyée à deux directeurs artistiques et metteurs en scène qui ont très spontanément accepté de la lire. Je me croise les doigts pour la suite des choses.
Ces deux semaines se sont écoulées avec pour toile de fond une pandémie et des manifestations anti mesures sanitaires dans les deux capitales, fédérale et provinciale.
En arrivant à Québec, j’espérais ardemment la fin de la 5e vague et, au moins tout autant, celle des manifestations des convois de la liberté… Je ne m’attendais pas à ce qu’elles cèdent aussi rapidement le pas à une invasion de l’Ukraine par la Russie.
Mais comme le 21e siècle semble de plus en plus déterminé à ressembler à une dystopie, peut-on vraiment s’étonner?
De retour « dans mes terres », je mesure l’incroyable chance d’avoir eu vent de cette résidence, d’y avoir suffisamment cru pour envoyer une demande, et surtout d’y avoir été acceptée.
À une époque où les jours se dessinent à coups de traits de plus en plus incertains, il est remarquable de constater que de petits rêves personnels se voient encore exaucés et que leur aboutissement puisse dépasser nos espérances. Alors que plusieurs réclament haut et fort leurs droits et libertés, pour ma part, je n’ai que reconnaissance et gratitude pour toutes ces libertés auxquelles cette Résidence m’a donné droit.
Merci à l’ATTLC et la Maison de la Littérature; je repars plus riche qu’à mon arrivée.
Saluez les chats pour moi.
Maryse Warda
Traductrice de théâtre
27 février 2022
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La traductrice Maryse Warda était en résidence à Québec du 13 au 26 février 2022 dans le cadre de la résidence de traduction de la Maison de la littérature organisée en partenariat avec l’Association des traducteurs et traductrices littéraires du Canada (ATTLC / LTAC).